Mes personnages étaient trop insistants : ils sont récemment revenus à la charge. De vous à moi, je pense qu'ils ont éhontément profité de la fatigue nerveuse des dernières semaines de classe pour se faufiler dans mes journées.
Sous la pression, j'ai bien dû m'incliner : je suis revenue à mon roman la chose informe et chaotique qui aimerait bien devenir un roman. Je modifie tout, je chamboule tout, mes personnages ont complètement changé d'avis et ne veulent plus du tout les mêmes choses qu'avant.
Il faut dire qu'ils ont mûri depuis novembre. Ils ont d'autres façons d'agir, leurs qualités et défauts se sont affinés avec le temps, et du coup, rien ne va plus.
Je ne sais pas ce que ça va donner mais c'est prenant.
Si un jour votre vie vous paraît morne et sans intérêt, lancez-vous dans l'écriture d'un roman : ça change tout. C'est vite fait, de se créer quelques personnages - allons, avouez, je suis sûre que vous en avez un ou deux en tête : en général ils ressemblent à des personnes de la vraie vie, mais en "édulcoré". Plus manichéens, ou au alors beaucoup plus tordus et névrosés.
C'est vite fait aussi, d'imaginer une rencontre, une interaction fortuite, un incident, un désaccord, ou un événement soudain qui les met en contact.
Peut-être même... Sûrement, allez... Peut-être que vous avez une idée de scénario, une petite histoire ou une longue saga, qui macère en vous secrètement depuis vos plus tendres années. Et le casting qui va avec. Et si vous alliez faire un tour du côté de chez Swann de ces beaux souvenirs, verser quelques gouttes de sang neuf et raviver tout ce beau monde? Après toutes ces années, que sont vos personnages devenus? En y réfléchissant, votre petite intrigue minable pourrait très bien être la base d'un best-seller prochain.
A partir du moment où vous prenez le risque d'y croire, votre vie prend une épaisseur de plus, un peu comme la doublure dans un vêtement réversible.
Chaque moment de solitude se peuple de personnages en mouvement, qui font et refont dix fois la même scène, mais avec quelques variations à chaque fois.
Désormais, chaque anecdote racontée par vos amis ou voisins, chaque conversation entendue au hasard dans les transports en commun ou dans une file d'attente, devient un ingrédient possible de votre prochain chapitre.
Chaque titre de livre ou de film vous donne une nouvelle idée. Chaque paysage rencontré, chaque objet inhabituel, vous inspire une discussion, ou le tournant d'une relation.
Vous vous mettez à ouvrir l'œil et l'oreille.
Vous devenez complètement perméable à tout ce qui auparavant ne faisait pas partie de votre vie. Vous devenez collant, un peu comme un pot de miel. Vous accrochez tout ce qui passe. Et le pire c'est que souvent ça se décroche presque aussitôt, juste le temps d'apprécier l'idée et de commencer à y travailler : si vous ne la notez pas, c'est perdu à tout jamais. Et vous vous en voulez de ne pas avoir commencé à écrire le passage voulu dès que l'idée s'est présentée. Mais bon, ce jour-là il fallait préparer l'évaluation de grammaire.
Imagination, création, et frustration.
Et on n'en sort jamais. Ou alors peut-être une fois que le livre est complètement écrit, imprimé, édité? Même pas, peut-être que les personnages viennent vous hanter ensuite pour vous dire qu'ils ne sont pas d'accord avec leur fin ou avec leur sort.
Sur le site de NanoWriMo, j'avais trouvé cette comparaison très parlante : donner vie à des personnages, c'est comme donner des pierres à un gamin.
Un gros bazar en vue, rien de contrôlable.
Mais ça pimente le quotidien comme on n'imagine pas.
Si j'avais su...
A tout hasard, voici quelques trucs que j'aurais aimé savoir ou lire avant de me lancer avec détermination, ambition et trop peu de réflexion dans cette irréversible aventure.
J'aurais aimé qu'on me parle de NaNoWriMo bien plus tôt. Vous faites quoi de vos nuits, en novembre?
J'aurais aimé lire le blog Storyfix il y a un an, ou plus. (Le blog qui répare les histoires). A lire notamment en ce moment une série de posts sur la structure du roman. Un peu comme le schéma quinaire, mais en quatre parties, et avec quelques conseils qui valent la peine de lire en anglais même si on n'aime pas ça.
J'aurais lu l'article Comment écrire un fichtrement bon roman, de Russell James (apprécier au passage les commentaires sur les profs d'écoles et les rédacs). C'est le lien vers une version française. Un deuxième article sur comment certains ont fait pour en écrire un : P. Highsmith, R. Chandler, J. Steinbeck, P.D. James, ...
J'aurais écrit un peu tous les jours. Un blog, des petits exercices, des poèmes en prose, des groupes d'écriture créative en ligne où en plus on vous donne des impressions sur vos textes (il y en a pas mal, je vous laisse chercher). Quitte à utiliser Write or Die, le programme en ligne qui vous force à sortir de votre cerveau des diamants bruts trucs bizarres dont vous ne soupçonniez même pas l'existence.
J'aurais lu un peu plus, mais pas nécessairement les auteurs classiques ou les best-sellers : un conseil qui vaut de l'or, c'est de lire aussi, exprès, de la mauvaise littérature. A ce sujet j'ai relu tout récemment des passages du premier roman de quelqu'un que je connais personnellement, mais dont je tairai le nom, et vraiment ça aide. Et puis ça réconforte : si lui a trouvé un éditeur, pourquoi pas moi?
J'aurais un peu avancé mon roman en juillet : il reste jusqu'au 30 septembre pour participer au Prix Bartleby qui récompense le meilleur roman inachevé.
A bon entendeur...